Avoir une adresse est aujourd’hui indispensable pour accéder à tous les droits civiques, civils et sociaux. Pour les personnes sans domicile stable, c’est la domiciliation, proposée par les Centres communaux d’action sociale et certaines associations dont le Secours Catholique, qui est le seul recours. Mais le système, saturé, amène parfois des discriminations.
- © Xavier Schwebel/Secours Catholique
- Dans les Hauts-de-Seine, les organismes associatifs domicilient 3 400 personnes.
Dans l’une des petites salles de La Rampe, lieu d’accueil du Secours Catholique à Colombes (Hauts-de-Seine), Christian attend son tour. Maintenant il donne son nom, son numéro de domicilié et on lui remet un paquet d’enveloppes. Depuis plusieurs années, Christian vient chercher son courrier ici.
« Je n’ai pas les moyens d’avoir un logement, je dors chez divers amis, explique-t-il. Mais il me fallait obligatoirement une adresse fixe pour avoir mon Pass Navigo gratuitement pour le métro. J’ai pu aussi remplir ma feuille d’imposition, avec l’aide d’un bénévole. Même si je ne paie pas d’impôt, j’en ai besoin pour renouveler ma demande de logement social. »
Quatre demi-journées par semaine, le local de La Rampe accueille des permanences de domiciliation. Deux sont gérées par le Secours Catholique et concernent la domiciliation de droit commun, c’est-à-dire pour les Français et les réfugiés politiques. Les deux autres sont tenues par l’association Dom’asile, créée par plusieurs associations caritatives chrétiennes dont le Secours Catholique, pour répondre aux besoins spécifiques des demandeurs d’asile.
Les personnes sans domicile stable peuvent ainsi utiliser l’adresse de ces organismes agréés par la préfecture pour leurs démarches administratives ou pour recevoir du courrier.
Des justificatifs pour justifier le justificatif
« La domiciliation va au-delà d’une simple adresse, précise Hélène Ceccato, animatrice du Secours Catholique des Hauts-de-Seine. Elle est pour nous la première étape d’un accompagnement sur le long terme vers l’accès aux droits. » Une fois le courrier remis à son destinataire, celui-ci passe une dizaine de minutes avec un bénévole pour vérifier qu’aucune lettre n’est urgente. Si besoin il appelle Pôle emploi pour une prise de rendez-vous. Lors des permanences de Dom’asile, une salariée de la Sécurité sociale est même là pour répondre aux questions.
Mais une adresse de domiciliation peut aussi amener à la discrimination. Ce lundi, Marc interpelle Marcelle Brown, co-responsable bénévole de La Rampe : « Je suis allé à la Caf pour avoir une nouvelle carte Vitale. Quand ils ont vu sur mon attestation de domiciliation que La Rampe était mon adresse, ils m’ont demandé un justificatif pour le prouver. »
Marcelle Brown soupire et lève les yeux au ciel : « On en vient à faire un justificatif de justificatif ! » Elle remplit la feuille que lui tend Marc et ajoute une note à l’intention de l’employée de la Caf pour lui rappeler que ce formulaire supplémentaire n’est pas nécessaire. « Voire illégal », observe-t-elle à voix haute.
- © Xavier Schwebel/Secours Catholique
- Pour les étrangers en procédure de régularisation, le courrier est fondamental car il permet le lien avec les administrations.
« Jusqu’en juin, nous avons eu aussi un problème avec la préfecture de Nanterre, rappelle-t-elle. Les demandeurs d’asile domiciliés chez Dom’asile qui obtenaient la protection de la France voulaient retirer leur carte de réfugié politique, comme la procédure le prévoit. Mais les employés au comptoir refusaient de la leur donner à cause de leur adresse. Nous avons interpellé le préfet à ce sujet : La Rampe est un lieu agréé par lui-même ! Depuis juillet, cela semble aller mieux. »
Malgré ces difficultés, la domiciliation est indispensable pour les étrangers sans domicile stable. « Ceux que nous accueillons ont fui les persécutions dans leur pays et une fois sortis de l’avion, ils ont huit jours pour faire une demande d’asile. Or sans adresse, ils ne peuvent entamer la moindre procédure administrative dans ce sens », explique Anne-Claire Bureau, responsable départementale de Dom’asile.
« Nous ne pouvons assurer un service public avec nos seuls bénévoles »
Aujourd’hui, le dispositif est saturé pour ce public : Dom’asile à Colombes reçoit et trie le courrier de près de 800 personnes uniquement avec une vingtaine de bénévoles. D’ailleurs, ce mardi après-midi, Dominique reçoit ceux qui veulent ouvrir une domiciliation… et doit répondre non à presque tout le monde.
« C’est extrêmement difficile de refuser », confie-t-il. Pintu revient pour la deuxième fois ce mois-ci : « Vous m’avez déjà envoyé vers cette autre association. J’ai essayé partout, ça n’a pas marché ! Acceptez-moi ! »
C’est pour répondre à ce genre de situation que le Secours Catholique des Hauts-de-Seine a mis en place, en 2010, un collectif pour la domiciliation rassemblant les organismes agissant dans ce domaine. Son premier travail a été, en 2011, une enquête sur les Centres communaux d’action sociale (CCAS).
« Depuis la loi de 2007 qui institue des possibilités de domiciliation pour les personnes, les premiers concernés par la domiciliation sont les CCAS. Or certains renvoyaient directement les demandeurs d’une adresse vers les associations », se souvient Hélène Ceccato. Résultat : sur le département, les CCAS domicilient environ 1 000 personnes quand les organismes associatifs en ont 3 400.
Hélène Ceccato reconnaît volontiers que les CCAS n’ont pas de budget supplémentaire pour assurer la domiciliation, mais elle plaide pour un changement de mentalité : « Nous ne pouvons assurer un service public avec nos seuls bénévoles. Notre volonté première est que les gens aient accès au droit commun. Pour nous, la meilleure solution serait que les personnes ayant besoin d’une adresse aillent se domicilier auprès des CCAS. Et pourquoi pas, accompagnées d’un de nos bénévoles. Notre rôle serait ainsi mieux cadré. »
Sophie Lebrun